La responsabilité pénale des administrateurs dans le cadre de la faillite et de la réorganisation judiciaire
 29/03/2022 |
La responsabilité pénale des administrateurs dans le cadre de la faillite et de la réorganisation judiciaire

Beaucoup de choses ont été dites et écrites à propos de la responsabilité civile des administrateurs, telle que remaniée (et limitée) par le nouveau Code de sociétés et associations (CSA)

 

La responsabilité pénale quant à elle, est restée relativement peu discutée dès lors que, à part la nouvelle numérotation, les infractions et les peines restent sensiblement les mêmes.

 

Les infractions liées à la constitution et la gestion des sociétés dépassent le cadre la présente contribution, qui se penchera plus particulièrement sur les infractions liées à la faillite.

 

Le lecteur restera toutefois attentif au fait que dans la cadre de l’aministration de sociétés, outre les infractions “évidentes” comme l’escroquerie, les détournements, le faux et l’usage de faux, le CSA prévoit des peines correctionnelles pour une série de simples négligences, sans intention délictueuse. Quelques exemples sont: le fait de ne pas soumettre les comptes annuels à l’assemblée générale, de ne pas présenter le rapport de gestion, le défaut de présentation des rapports spéciaux exigés pour les apports en nature…

 

Nous rappellerons également que lorsqu’une société confie un mandat d’administrateur à une autre personne morale, cette dernière doit désigner en son sein une personne physique comme représentant permanent chargé de l'exécution de ce mandat et que cette personne physique encourt solidairement avec elle les mêmes responsabilités civiles et pénales.

 

Il ne peut donc pas être question de se “cacher” derrière une société pour éviter une éventuelle responsabilité pénale.

 

Dans le même contexte, la stratégie frauduleuse de faire apparaître un homme de paille comme administrateur “officiel” afin de rester à l’abri de poursuites pourra être contrecarrée par nombre de dispositions qui prévoient la sanction d’administrateurs “de fait ou de droit”, à savoir tant les personnes dont le mandat est publié au Moniteur belge que celles qui, en pratique, prennent les décisions dans l’ombre.

 

Dans le cadre de la présente série (insolvency project, à préciser/renommer), ce seront les infractions liées à la faillite qui seront analysées.

 

Ces dispositions sont reprises aux articles 489 à 490quater du Code pénal, visant les infractions liées à l'insolvabilité.

 

Cette dizaine d’articles ont en réalité deux principales finalités : soit éviter la diminution de l’actif ou l’augmentation du passif, soit la sanction des atteintes au bon déroulement de la faillite.

  

1)     Conclusion d’engagements disproportionnés

 

L’art. 489alinéa 1er  interdit aux dirigeantsde personnes morales en état de faillite decontracter, au profit de tiers, sans contrepartie suffisante, des engagements trop considérables eu égard à la situation financière de l'entreprise;

 

Sont visées ici les “opérations imprudentes” menées en période suspecte, qui est la date de cessation de paiements qui peut être fixée par le tribunal jusqu’à six mois avant ladate de déclaration de faillite.

 

L’ont veut éviter, entre autres, qu’un dirigeant d’entreprise, sachant celle-ci condamnée, aggrave son passif sans réel espoir de récupération et ce au bénéfice de tiers, par exemple en cautionnant des dettes ou en remettant des fonds sans contrepartie suffisante ou juste motif.

 

L’appréciation du caractère suffisant de la contreparties des engagements revient au juge pénal, qui dispose d’un très large pouvoir d’appréciation en la matière. 

  

2)     Défaut de collaboration avec la curatelle

   

L’art. 489 alinéa 2  sanctionne[1] le défaut de collaboration des dirigeans de personnes morales en faillite avec le juge-commissaire ou le curateur.

 

Ceux-ci doivent ont en effet l’obligation de se rendre à toutes les convocations qui leurs sont faites par le juge-commissaire ou le curateur, de fournir à ces derniers tous les renseignements requis, et de leur signaler tout changement d’adresse.

 

Le bon déroulement de la faillite dépend en effet en grande partie des informations et documents dont dispose la curatelle, et le législateur a voulu imposer aux dirigeants une obligation de collaboration de manière à ne pas alourdir sa charge et retarder les opérations de clôture de faillite.

  

3)     Retardement de la faillite par opérations ruineuses, favorisation de créanciers ou omission d’aveu de faillite

 

L’art. 489bis punit -sévèrement[1]- les dirigeants qui auronttenté de retarder la déclaration de faillite par un des moyens suivants:

 

-        En faisant utilisation de “moyens ruineux de se procurer des fonds”, c’est-à-dire toutes les opérations qui aggravent la situation de la société de manière disproportionnelle par rapport aux avantages espérés. En pratique, ce sera très souvent l’accumulation des dettes vis-à-vis de créanciers publics (ONSS et fisc) qui sera assimilée à la création d’un crédit artificiel et qui donnera lieux à des poursuites pénales.

  

-        En payant ou favorisant un créancier au préjudice de la masse; ceci implique que l’égalité entre les créanciers ne serait pas respécté, par exemple en payant en priorité un fournisseur dont on veut conserver les bonnes grâces.

  

-        Omettre de faire l'aveu de la faillite dans le mois de la cessation de ses paiements, ou sciemment omettre de fournirles renseignements exacts exigés à cette occasion. Cette disposition est particulièment sévère lorsque l’on considère la difficulté que rencontrent, bien légitimement, les dirigeants de PME dont ils sont eux-même actionnaires, à faire aveu de faillite avant d’avoir épuisé toutes les possibilités de sauver leur société. Cette sévérité est toutefois tempérée par la jurisprudence qui, en général, ne santionne le retardement de déclaration de faillite que lorsque l’espoir d’éviter la faillite est déraisonnable.

 

4)     Soustraction de la comptabilité et détournement d’actifs

 

Art. 489ter  prévoit de lourdes peines[3], et une éventuelle interdiction professionnelle pour les dirigeants qui, avec une intention frauduleuse ou à dessein de nuire, auront :

  

  •         soustrait, en tout ou en partie, la comptabilité de la personne morale
  •         détourné ou dissimulé une partie de l'actif;

  

ce détournement d’actif peut se présenter sous plusieurs formes : outre les prélèvements de fonds injustifiés, il peut s’agir de ne pas intégrer des revenus dans la comptabilité de l’entreprise, de vendre des actifs sous le nom d’un tiers, de la cession de fonds de commerce à une autre société, de la mise à disposition, sans contrepartie, de personnel ou de moyens au bénéfice d’un tiers, ou encore de la facturation de prestations de la société par une autre entité…

 

La soustraction, dissimulation ou recel de l’actif est également punissable[4] dans le chef de tiers, qui se seraient rendus coupable de ces infractions dans l'intérêt de l'entreprise faillie, en y recherchant un avantage illicite pour eux-même ou pour autrui.

 

Les tiers pourront également être sanctionnés des même peines s’ils introduisent des déclarations de créances fausses ou exagérées.

 

5)     rôle et responsabilité du curateur

 

Le curateur sera le principal initiateur des poursuites pénales en matière de faillite. Si chaque faillite donne lieu à l’ouverture d’une information pénale, et que le parquet peut prendre toute initiative utile et se faire remettre toute information  dans ce cadre, c’est principalement sur base du mémoire du curateur, auquel auront été rajoutés les observations du juge-commissaire qu’il sera informé du caractère frauduleux de certains agissement du failli

 

Le curateur a donc un rôle essentiel dans ce contexte, et ce sera d’ailleurs souvent lui qui prendra l’initiative de porter plainte s’il l’estime nécessaire.

 

Il reviendra aux dirigeants de répondre à ses convocations et demandes de renseignements, non seulement pour éviter les poursuites liées à cette obligation, mais également pour le convaincre de l’absence de la matérialité de l’infraction, ou à tout le moins de l’intention frauduleuse qui en constitue une condition essentielle.

 

Ce rôle majeur est assorti d’une responsabilité de même importance : ainsi, le curateur sera lui aussi soumis à la loi pénale qui prévoit de lourdes peines[5] et une interdiction professionnelle pour le curateur qui s'est rendu coupable de malversation dans sa gestion. 

   

6)     Organisation frauduleuse d’insolvabilité

 

Si l’insolvabilité va généralement de pair avec la situation de faillite, celle-ci ne peut pas avoir été créée volontairement, dans le but de soustraire les avoirs du failli aux créanciers.

 

Le Code pénal prévoit dès lors de sanctionner[6] celui qui a frauduleusement organisé son insolvabilité et n'a pas exécuté les obligations dont il est tenu.

 

Cette organisation d’insolvabilité par le débiteur peut être déduite de toute circonstance de nature à révéler sa volonté de se rendre insolvable.

 

7)     Infractions en matière de réorganisation judiciaire

 

Risque des poursuites pénales[7], le débiteur qui

 

   1° pour obtenir ou faciliter la procédure de réorganisation judiciaire, a, de quelque manière que ce soit, volontairement dissimulé une partie de son actif ou de son passif, ou exagéré cet actif ou minimalisé ce passif;

   2° a fait ou laissé sciemment et volontairement intervenir dans les délibérations un ou plusieurs créanciers supposés ou dont les créances ont été exagérées;

   3° a omis sciemment et volontairement un ou plusieurs créanciers de la liste des créanciers;

   4° s'a fait ou laissé faire sciemment et volontairement au tribunal ou à un mandataire de justice des déclarations inexactes ou incomplètes sur l'état de ses affaires ou sur les perspectives de réorganisation.

  

Dans le même ordre d’idée, les mêmes peines sont prévues pour ceux qui frauduleusement,

 

-        sans être créanciers, ont pris part au vote sur le plan de réorganisation, (

-        étant créanciers, ont exagéré leurs créances

ont stipulé, soit avec le débiteur, soit avec toutes autres personnes, des avantages particuliers pour orienter le sens de leur vote sur le plan de réorganisation

 

[1]emprisonnement d'un mois à un ans et/ou amende de 100 € à 500.000 €

[2]emprisonnement d'un mois à deux ans et/ou amende de 100 € à 500.000 €

[3]emprisonnement d'un mois à cinq ans et/ou amende de 100 € à 500.000 €

[4] emprisonnement d'un mois à deux ans et/ou amende de 100 € à 500.000 €

[5]emprisonnement d'un mois à cinq ans et/ou amende de 100 € à 500.000 €

[6]emprisonnement d'un mois à deux ans et/ou amende de 100 € à 500.000 €

[7]emprisonnement d'un mois à deux ans et/ou amende de 5 € à 125.000 €

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