Covid-19 : L’obligation de laisser ses coordonnées dans certains établissements est–elle attentatoire à la vie privée ?
 14/09/2020 | Articles
Covid-19 : L’obligation de laisser ses coordonnées dans certains établissements est–elle attentatoire à la vie privée ?

 

1. Les mesures énoncées par les arrêtés ministériels

Face à la récente augmentation des cas de Covid-19, le gouvernement fédéral a publié des arrêtés ministériels les 24 et 28 juillet dernier. Ces arrêtés modifient l’arrêté ministériel du 30 juin 2020 en y ajoutant toute une série de mesures ayant pour but de limiter la propagation du coronavirus et donc, de limiter les effets de la deuxième vague.

Parmi les mesures fortes imposées par le gouvernement, il y a, aux article 5 et 6 bis de l’arrêté modifié, la mise en place d’un système d’enregistrement et de conservation des données des clients.

Tant les clients du secteur de l’Horeca que dans les centres de bien-être, les cours collectifs de sport, les piscines, les casinos, les salles de jeux automatiques et les salles de réception doivent ainsi laisser leurs coordonnées, qui peuvent se limiter à un numéro de téléphone ou une adresse e-mail, d’un participant par ménage ou d’un client par table.

Ces coordonnées doivent ensuite être conservées pendant 14 jours.

Si le but et l’utilité de la mesure, qui est de retracer le parcours d’une personne contaminée par le virus et de déterminer et prévenir ainsi les personnes qui auraient éventuellement croisées sa route, ne peuvent être contestés, la mesure pose néanmoins question quant à sa conformité à certains droits et libertés fondamentales, notamment en matière de droit à la vie privée.

 

2. Le droit au respect de la vie privée

Le droit au respect de la vie privée et familiale est un principe fondamental consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que par l’article 22 de la Constitution. Il consacre le droit pour toute personne au respect de sa vie privée et de sa vie familiale.

Ce droit recouvre plusieurs aspects, dont celui qui nous intéresse plus particulièrement ici : le droit à la protection des données personnelles, auquel il est évident que la mesure porte atteinte. Toutefois, il convient d’avoir égard au paragraphe 2 de l’article 8 de la CEDH qui prévoit que « il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » En d’autres termes, il est possible de restreindre le droit au respect de la vie privée moyennant le respect des conditions mentionnées ci-dessus.

 

3. Les conditions de restriction du droit à la vie privée

La première condition à respecter est que la mesure attentatoire doit être prévue par la loi. En l’espèce, l’obligation de communiquer ses coordonnées est prévue par un arrêté ministériel. Cet arrêté ministériel a été adopté en vertu des pouvoirs spéciaux qui ont été conférés au Roi par la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus. En outre, il convient de préciser que l’arrêté ministériel devra être confirmé par une loi ultérieure pour donner une véritable base légale aux mesures.

Un autre moyen de remplir cette condition serait de partir du principe que ce système se fonde sur les dispositions du RGPD. La protection des données personnelles est en effet régie par le règlement général sur la protection des données (RPGD), que la Belgique est tenue de respecter étant donné qu’il s’agit d’un règlement européen. Premièrement, la mesure peut être justifiée par l’article 6 §1er qui dispose que le traitement de données à caractère personnel est licite si « a) la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques » ou « e) le traitement est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement ». Il est également possible de se fonder sur l’article 9 §2 qui prévoit qu’à titre exceptionnel, le traitement de données relatives à la santé est possible lorsque :

- « a) la personne concernée a donné son consentement explicite au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques (…) » ou

« i) le traitement est nécessaire pour des motifs d'intérêt public dans le domaine de la santé publique, tels que la protection contre les menaces transfrontalières graves pesant sur la santé, (…) ».

La deuxième condition est que la restriction doit être nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi. Cela implique que la mesure doit être efficace et doit permettre d’atteindre l’objectif en question tout en étant la moins attentatoire possible du droit visé.

En l’espèce, l’objectif de la mesure est, comme cela a été précisé plus haut, de limiter la propagation de la Covid-19 en retraçant le parcours d’une personne contaminée par le virus en vue de déterminer les personnes qui auraient éventuellement croisé sa route et prévenir celles-ci des risques de contamination. A première vue, si elle est appliquée correctement, cette obligation de laisser ses coordonnées devrait permettre de limiter la propagation du virus même s’il faut encore que cette efficacité soit démontrée sur le terrain.

Toutefois, il existe d’autres solutions (réalisation de test de détection sur l’ensemble de la population) susceptibles d’aboutir au même résultat, tout en étant d’une certaine manière moins attentatoires à la vie privée. De l’autre côté, le gouvernement s’est appliqué pour limiter au maximum cette atteinte à la vie privée. En effet, les coordonnées à transmettre aux établissements concernés par les articles 5 et 6 bis sont très limitées : seul le numéro de téléphone ou l'adresse mail d’une personne par table ou par ménage suffit. De plus, ces informations ne pourront être utilisées pour d’autres raisons que la lutte contre la COVID-19 et devront obligatoirement être détruites après 14 jours. Les visiteurs, participants ou clients doivent expressément donner leur accord quant à l’enregistrement de leurs données (ceux qui refusent de fournir ces informations ne pourront pas accéder à l’établissement). Tout est fait pour que la mesure soit la moins attentatoire possible à la vie privée.

 

4. Conclusion

Pour conclure, s’il est évident que l’obligation de soumettre ses informations personnelles au restaurateur ou dans une salle de réception porte atteinte à la vie privée, la question est de savoir si ces restrictions sont proportionnées et donc, légales.

La réponse relève de l’interprétation. D’une part, certains affirmeront que l’atteinte est disproportionnée dès lors qu’il existe d’autres mesures susceptibles d’être moins attentatoires mais tout aussi efficaces pour limiter la propagation du virus que le fait de devoir donner des informations personnelles, comme réaliser des tests de détection sur l’ensemble de la population ou encore tout simplement l’obligation du port du masque, et que pour cette raison, la mesure devrait être considérée comme irrégulière. D’autre part, il y a ceux qui affirmeront que la mesure attentatoire rentre dans les conditions de l’article 8 paragraphe 2 de la CEDH et qu’il s’agit donc d’une restriction valable étant donné que du point de vue des informations personnelles, seul le strict minimum est demandé, d’autant plus qu’il est tout à fait possible de réduire davantage les informations personnelles à dévoiler dans la mesure où il n’est pas interdit de créer une adresse mail spécifique à cette situation (par exemple votreprénomcovid@gmail.com ), et que vu la période exceptionnelle dans laquelle nous nous trouvons, il serait raisonnable d’accepter une atteinte limitée à certains droits fondamentaux, surtout lorsque le but est, in fine, de combattre la propagation de la Covid-19 au sein de la population. 

 

Pour plus d’informations, n’hésitez pas à contacter notre cabinet d’avocat Sub Rosa Legal qui est toujours disponible pour répondre à vos questions, par mail ou sur rendez-vous.

 

Jordan Mabiala
Avocat Sub Rosa Legal

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